A quelle heure connait-on les résultats de l’élection présidentielle? C’était impensable il y a quelque temps, c’est aujourd’hui le sujet de discussion à la mode: il est possible de connaître les résultats de l’élection avant 20h. La faute à qui? Internet, évidemment.
Dimanche 22 avril, les Français sont appelés aux urnes pour désigner les deux candidats qui, deux semaines plus tard, disputeront le second tour de l’élection présidentielle. Si le scrutin en lui-même occupe une grande place dans les médias, il est un autre débat qui fait rage: à quelle heure connaîtrons-nous les résultats du premier tour?
Des estimations sérieuses dès 18h
Vous vous en doutez, lorsque les résultats apparaissent sur votre écran de télévision à 20 heures, les chaînes de télévision qui vous les communiquent connaissent déjà les scores des candidats depuis un certain temps. On se souvient notamment de l’élection présidentielle de 2002 où on nous promettait une énorme surprise à chaque duplex avec le quartier général du Front National. Puisque les médias possèdent les résultats, pourquoi ne les communiquent-ils pas plus tôt? A cause de l’article L. 52-2 du code électoral, qui dit ceci:
« En cas d’élections générales, aucun résultat d’élection, partiel ou définitif, ne peut être communiqué au public par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle (…) avant la fermeture du dernier bureau de vote. »
2002, ou comment dire le résultat de l’élection avant 20h sans le dire
Et comme dans certaines grandes villes françaises, les bureaux de vote ne ferment non pas à 18h mais à 20h, les résultats ne peuvent donc être communiqués aux français qu’à ce moment là. Car on s’en doute, connaître les résultats avant d’aller voter pourrait en influencer certains.
Seulement voilà, nos voisins européens, notamment les pays francophones qui s’intéressent de près à la politique française, ne tombent, eux, pas sous le coup de cette loi. Et demeurent ainsi en possession, dès 18h environ, de résultats fiables qu’ils ont tout à fait le droit de diffuser. Pourquoi, alors, se priver de donner une information qu’ils possèdent sachant que la concurrence ne se gênera pas pour la donner? La réponse est dans la question: personne, en Belgique ou en Suisse, ne se fait prier: ils ont l’information eu leur possession, ils la diffusent, point.
Et c’est précisément là que les ennuis commencent. Alors que jadis il vous aurait fallu avoir des amis ou de la famille dans un pays frontalier -et un téléphone- pour connaître les résultats avant 20h, il vous suffit désormais d’allumer votre ordinateur. Internet est votre ami, et en quelques clics, vous pourrez connaître les premières estimations alors même que sur votre bon vieux téléviseur, qui affiche 19h12, David Pujadas vous propose de « prendre la température » dans les différents QG. Ce qui était tout bonnement impossible il y a quelques années, est désormais à la portée de tous grâce au web.
C’en est trop pour Jean-Marc Morandini, qui dès 2007, voyant peut-être là une occasion en or de parler d’autre chose que de télé-réalité et des déboires de starlettes préfabriquées, avait dénoncé l’hypocrisie du système. A l’époque, de nombreux français découvraient que les résultats étaient accessibles sur internet et, curieux, se ruaient sur les sites des médias étrangers pour connaître les résultats avant tout le monde, saturant au passage de nombreux sites d’information Belges ou Suisses peu habitués à un tel taux de fréquentation.
Comment éviter ce « bazar »?
Cinq ans plus tard, le schmilblick n’a pas avancé et JMM est toujours aussi énervé, puisque notre Zorro national menace de diffuser « d’une façon ou d’une autre les résultats de ces estimations sorties des urnes au nom du droit à l’information » avant 20h. Et il n’est pas le seul. Depuis 2007, des réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook ont connu un essor considérable. Communiquer les résultats avant 20h est passible de 75 000 euros d’amende, répond le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel). Impossible ou presque à appliquer; avec un accès facile aux résultats via Internet et le bouche à oreilles qui en découlera, rares risquent d’être les français à découvrir les résultats à 20h devant la télévision.
On peut donc raisonnablement se poser la question: puisqu’il faut que ça change, alors que faut-il changer? Faut-il annoncer les premières estimations plus tôt, faisant fi de l’article L.52-2 cité plus tôt? Pourquoi ne pas fermer tous les bureaux de vote à 18h? Pourquoi ne pas bloquer l’accès aux réseaux sociaux et aux sites d’informations étrangers jusqu’à 20h le jour de l’élection? Quid d’une loi à l’échelle internationale sur ce sujet qui n’est finalement pas propre à la France?
Du nombre d’électeurs qui attendraient ainsi les premières estimations avant d’aller au bureau de vote à la hausse du taux d’abstention en passant par la violation de la liberté d’information, aucune solution n’est parfaite. Mais il faudra bien en trouver une d’ici à la présidentielle 2017. Car n’en doutons pas, dans l’état actuel des choses, l’après-midi du 22 avril s’annonce épique. Et le soir de ce même 22 avril, peut-être découvrirons-nous pour la dernière fois les résultats d’un premier tour de présidentielle à 20h devant la télé. Internet bouscule décidément tout.